HIC ET NUNC - Démosphère
25/10/2008
"Dépression : nom donné par l'horreur du vide à la chair qui s'ouvre et se détend. Moment constitutif du processus de naître", Tariq DEMENS, Diaphorisme.
La dépression, est ce moment où ce qui est à l'extérieur de moi n'a plus d'attrait : soit que ce qui me faisait tendre vers lui m'est enlevé (la femme que j'aime me quitte, la mort m'arrache l'être cher....) , soit que tout désir et toute énergie se retirent soudain d'eux-mêmes. Le monde ne m'attire plus et c'est comme s'il disparaissait. Effrayante vacuité ! La mise hors jeu de l'objet extérieur m'ôte à la fois le rapport au monde qui me définissait et le désir qui me donnait le goût de vivre : privé d'identité et d'intérêt pour la vie, je ne suis plus rien et aspire au néant qui me délivrera de ce vide contre lequel je me raidis désespérément, passant de la plus extrème douleur physique à la terreur sans nom face à l'abîme du rien dont rien ne me protège. Et le danger est réel, tant la mort peut paraître alors attirante. Et pourtant, cet arrêt brutal, qu'est la dépression fournit peut-être l'occasion de me poser enfin une question cruciale : ce comportement, si naturel en apparence, par lequel lje me tendais en permanence vers des objets (de consommation, d'amour, de plaisir) était-il l'expression de ma vérité ? Quelle est en effet cette force qui me tend vers l'extérieur ? La psychologie répond : la pulsion. Celle-ci selon Freud, obéit à la logique du soulagement en visant la suppression des excitations qui traversent le corps. La pulsion tend toujours vers moins d'intensité (moins de sensations, moins de vie) - c'est pourquoi elle s'accomplit dans la pulsion de mort qui en dévoile le véritable sens. Selon l'inventeur de la psychanalyse, tout l'humain, du plus ténébreux au plus sublime, s'explique à partir de la seule pulsion. Cela revient à dire que l'être humain est l'incarnation d'un refus de la vie. Or la dépression est précisément une panne de la pulsion, la seule ma thérapie consiste à remettre le moteur en marche : c'est le travail du psy. Mais si la mise en incapacité du système pulsionnel signifiait en réalité la protestation en nous d'un autre désir ? Le grand paradoxe de la déression est que celle-ci, en paralysant la logique du non à la vie, pourrait bien être la manifestation la plus puissante de notre amour de la vie ! Cette mort qu'est la dépression serait alors l'occasion de naître à une vie nouvelle. De cette manière ? Il s'agit d'abord d'inverser le mouvement de la pulsion. Mis dans l'incapacité de me tendre vers l'extérieur et de fuir mes sensations vers des objets, je peux m'exercer à me détendre vers l'intérieur et à coïncider avec ma vérité sensorielle ( n'est-ce-pas ce que l'on appelle méditer ?). Cette difficile traversée passe par l'acceptation de rencontrer les douleurs de mon âme que mes anciens fonctionnements avaient précisément pour vocation de garder à distance. Mais par delà le rideau de la souffrance peut s'ouvrir l'expérience intérieure. La vacuité en moi qui m'effrayait tant se découvre un espace ouvert qui est plénitude de sensation subtile, savoureuse, indicible. Et peut-être pourrais-je m'apercevoir joyeusement de ceci : tout ce que le mouvement pulsionnel ancré dans mes manques m'incitait à chercher hors de moi (amour, amitié, reconnaissance, douceur, tendresse....) je le porte en moi car je le suis. Naît alors un nouveau mouvement vers l'extérieur, fonder sur le désir de partager cette plénitude. Et si on ne sortait vraiment d'une dépression qu'en guérissant des fonctionnements dont elle nous a fait la grâce de nous rendre pour un temps incapable ? Denis MARQUET dans le magazine Nouvelles Clés